Comment la Franche-Comté est devenue espagnole

L’idée paraît aujourd’hui saugrenue. Mais dans un passé pas si lointain, et pendant près de deux siècles, la Franche-Comté a été une possession de la couronne espagnole. Quels hasards étranges de l’Histoire ont-ils abouti à cette non moins étrange situation ?

illustration du menu : L’Hôtel Thomassin de Vesoul, dit « Maison espagnole »
MàJ novembre 2022

« Besançon, vieille ville espagnole » écrivait Victor Hugo. Pour inexacte qu’elle soit (Besançon est restée presque jusqu’au bout de la période espagnole de la Franche-Comté une dépendance directe de l’Empereur Romain-Germanique), cette citation ne lasse pas d’éveiller l’imagination des Franc-Comtois. Eux qui furent, de 1493 à 1678, non seulement des sujets de la Couronne Espagnole, mais des sujets fidèles et attachés à leur Roi.

Comment, aussi loin des Pyrénées, cette terre a-t-elle pu devenir espagnole ? Tout commence en 1477. Une nouvelle aire comtoise s’ouvre à la mort du dernier des ducs-comtes de Bourgogne, un certain Charles le Téméraire.

La succession du Téméraire

La fin du Moyen-Age comtois est dominée par la souveraineté des ducs-comtes de Bourgogne. Ceux-ci possèdent, entre autres vastes territoires, la Bourgogne ducale (plus ou moins l’actuelle Bourgogne) et la Bourgogne comtoise (plus ou moins l’actuelle Franche-Comté). Mais s’ils sont vassaux du Roi de France pour l’une, ils sont comtes palatins (vassaux du Saint-Empire) pour l’autre.

A sa mort, le dernier d’entre eux laisse une fille unique, Marie de Bourgogne. Louis XI, le Roi de France, saute sur l’occasion de s’emparer des terres bourguignonnes. Il propose donc à Marie d’épouser le dauphin Charles. Celle-ci refuse. Elle lui préfère Maximilien d’Autriche, de la maison de Habsbourg.

Charles le Téméraire et Marie de Bourgogne
portraits de Charles le Téméraire et de sa fille Marie de Bourgogne

Furieux, le Roi de France annexe, au nom de la loi salique (les titres ne se transmettent pas par les femmes) le Duché de Bourgogne. Mais le Comté de Bourgogne, terre d’Empire, ne connaît pas la loi salique. La noblesse comtoise refuse d’être ainsi rattachée au Royaume de France. S’en suit une guerre entre les seigneurs comtois et le Roi de France, qui verra la destruction complète de Dole ou du château de Vesoul.

En 1482, Marie de Bourgogne meurt. Elle laisse une seule héritière pour ses états propres, Marguerite de Bourgogne, promise à Charles VIII de France, qui lui préfère finalement Anne de Bretagne. Maxilien, le père de Marguerite, qui avait des ambitions en Bretagne, est ulcéré par ce renversement d’alliances et se lance à la conquête de la Franche-Comté.

En 1493, par le Traité de Senlis, Charles VIII cède le Comté de Bourgogne à son rival Maximilien d’Autriche.

Les Habsbourg

La Franche-Comté est désormais une possession des Habsbourg, sans doute l’une des familles les plus puissantes de l’époque. Il laisse le gouvernement de la Province à son fils, Philippe le Beau. Ce dernier se trouve être également l’époux de Jeanne la Folle, reine de la Castille et de l’Aragon. Quand, en 1503, le couple visite enfin la Franche-Comté, on raconte qu’il est accueilli triomphalement aux cris de « Vive Bourgogne ! » (on salue ici la maison des Bourgogne-Comtes).

Philippe meurt en 1506. C’est alors que réapparaît Marguerite, qui est désignée administratrice des terres de sa mère Marie en lieu et place du future Charles Quint, fils de Philippe le Beau, qui n’a alors que six ans. Marguerite règne pour ainsi dire à distance, depuis Malines où elle réside, et se rend très populaire en Franche-Comté, comme descendante de la Maison de Bourgogne, mais aussi comme restauratrice de l’autonomie comtoise.

Europe Habsbourg 1547
l’Europe des Habsbourg (en vert) en 1547

Puis Charles Quint, officiellement émancipé, prend le titre de Comte de Bourgogne. Héritier de Castille et d’Aragon par sa mère Jeanne, il est aussi roi d’Espagne et se fera bientôt sacré Saint-Empereur Romain-Germanique (1520), entre autres nombreux titres. Le nouveau Comte va poursuivre l’héritage politique de Marguerite, renforçant l’autonomie comtoise et promouvant aux plus hauts rangs de son administration impériale et royale de nombreux comtois (Grandvelle, Renard…).

La Franche-Comté est-elle vraiment espagnole ?

En abdiquant, en 1555, Charles Quint lègue à son fils Philippe II l’Espagne et, avec elle, de nombreuses terres, dont la Franche-Comté. S’ensuit une lignée de Comtes de Bourgogne et Rois d’Espagne qui tantôt vont régner en propre sur la Franche-Comté, tantôt en confier la régence à leur famille des Flandres (les Archiducs).

Les hasards des guerres, des successions, des alliances et des mariages ont fait de la Franche-Comté une possession chère aux Rois d’Espagne. Cette lignée de rois et comtes s’interrompra avec la conquête de Louis XIV, officiellement achevée en 1678, par le Traité de Nimègue.

Entre temps, l’attachement réciproque du peuple comtois à la couronne espagnole n’aura connu que de rares refroidissements. On parlera même de cette période espagnole comme celle de « l’âge d’or comtois ». Bien que de langue(s) française(s), les Franc-Comtois conserveront cet attachement à l’Espagne, certains couvents organisant encore au XVIIème siècle des prières secrètes pour le Roi d’Espagne. La Franche-Comté n’a donc jamais été, ni de culture ni de langue, espagnole, mais conserva longtemps la nostalgie du temps où les rois espagnols étaient aussi Comtes de Bourgogne.

Vincent Bousrez

Médiateur culturel et ethnologue de formation, Vincent Bousrez écrit pour le web. Passionné par l'histoire de la Franche-Comté et par la gastronomie comtoise, il s'intéresse pour Franchement Comtois à plusieurs aspects de la culture de notre région.

9 commentaires sur “Comment la Franche-Comté est devenue espagnole

  1. Bonjour,
    Un résumé intéressant.
    Je nuancerais cependant l’idée d’un Âge d’or comtois; cela correspond davantage au règne de Charles Quint et à la régence de sa tante Marguerite d’Autriche qu’à l’époque de ses successeurs espagnols.
    Je développe cette idée dans mon dernier ouvrage, tome 2 de la Nouvelle histoire de Franche-Comté: Des Habsbourg à la conquête française, paru aux Edition Vandelle (éditions du Belvédère). Cet ouvrage est aussi un plaidoyer pour la défense et l’illustration d’une identité comtoise, en réaction contre les auteurs de la fusion Bourgogne-Franche-Comté. Pour la même époque: Nicolas Perrenot de Granvelle paru aux Editions du Sekoya.
    Cordialement

  2. Bonjour,
    La Franche Comté n’a jamais été la possession de l’Espagne mais la possession par les Habsbourg d’Autriche comme l’Espagne d’ailleurs.
    Marie de bourgogne épousa Maximilien 1er (Habsbourg) pour éviter que la Bourgogne soit récupérée en totalité par Louis XI, il gardera le duché de Bourgogne et une partie du nord de la France.
    Le reste, les Pays Bas et la Franche Comté seront administrés ensemble depuis Maline puis Bruxelles par un représentant des Habsbourg.
    Le fils de Marie, Philippe le beau ce mariant avec Jeanne la folle permet à son fils Charles (Quint) de devenir roi d’Espagne, mais pas Espagnole, il sont Habsbourg d’Autriche.
    Les 3 rois de France François 1er, Louis XIII et Louis XIV ce sont marié avec les filles de cette famille, Éléonore d’Autriche fille de Philippe le beau et sœur de Charles Quint, Anne d’Autriche fille de Philippe III et Marie Thérèse d’Autriche fille de Philippe IV, ils conservent bien la particule d’Autriche.
    Au gouvernement à Malines puis Bruxelles il y a une chambre Comtoise avec des franc-comtois pour les affaires comtoises, et des lieutenants gouverneurs en Franche Comté issu des familles très puissantes de Franche Comté nommés par le comte qui et roi en Espagne, tel que Jean de Chalon, son fils, Claude de Vergy etc.
    Étant à 500 km de Maline Dole a eu une certaine liberté d’action d’où le nom Franche Comté.

    N’étant pas historien je vous propose de voir les écrits de Mr Paul Delsalle maître de conférence à l’université de Besançon qui s’est spécialisé sur cette période des Habsbourg.
    Cordialement.

    1. Ce que vous dîtes, à quelques détails près (l’origine du nom « Franche »-Comté est vraisemblablement plus ancienne, par exemple) correspond largement à l’esprit de l’article (cf « La Franche-Comté est-elle vraiment espagnole ? »). Il ne faut pas s’arrêter au seul titre…

      Par contre, dire que l’Espagne était autrichienne est à peu près aussi faux que de dire qu’elle est aujourd’hui française, son souverain étant un Bourbon.

    2. Charles I d’Espagne est un Hasburg espagnol et il a vécu toute sa vie en Espagne. Le modèle des rois espagnols de la maison Hasburg est un modèle « fédéraliste » qui respecte la culture et loies de chaque territoire: les « foros » de Navarre, Aragon, Catalogne, Valence, Castille… Jamais il impose une culture unique et il maintient les territoires indépendants. Une exemple, Castille est le royaume qui a payé l’expédition à Amérique, alors c’est un territoire qui restera avec les Hasburg un territoire exclusif des castillans. Par exemple Aragon aura toujours l’interdiction de faire commerce avec les Amériques car c’est considéré territoire de Castille. Parallèlement le territoire de Napoles sera exclusif d’Aragon. Une curiosité, le drapeau de l’armée espagnole jusqu’au sXIX est la croix de Bourgogne et on connait bien l’existence des Tercios volontaires issu de la Franche Comté comme le Tercio de Saint Amour qui prouve l’intégration de ces territoires avec la reste des possessions de Felipe II, et les massacres de Richelieu et la résistance de Lacuzon démontrent que la Franche Comté n’est pas un territoire français et que les espagnols y furent bien plus respectueux envers les franche-comtois que les français.

  3. Echanges de commentaires intéressants, et je rebondis sur le commentaire de « Sergio ». Ces corps militaires pourraient-ils expliquer l’existence en Franche-Comté (particulièrement nord du Jura et Haute-Saône) du patronyme « Py », nom typiquement catalan ?

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